Exclusion de l’indemnisation en cas de retard de vol pour les passagers voyageant gratuitement

Les passagers voyageant gratuitement peuvent-ils prétendre à l’indemnisation forfaitaire prévue par le règlement (CE) n° 261/2004 en cas d’annulation ou de retard de vol ? 

La Cour de cassation a répondu par la négative en rejetant le pourvoi formé par des parents contre un jugement du tribunal d’instance d’Ivry-sur-Seine.

Un couple avait réservé un vol pour eux-mêmes et leurs trois enfants mineurs pour le trajet Agadir-Paris, prévu le 4 mai 2018. À la suite de l’annulation du vol, la famille est arrivée à destination avec un retard de 22 heures et 28 minutes. Si le couple a obtenu une indemnisation de 400 euros chacun, ainsi que pour deux de leurs enfants, la compagnie aérienne a refusé de verser cette indemnité pour leur troisième enfant, en raison de son jeune âge et des conditions de voyage.

Les parents ont donc formé devant le tribunal d’instance d’Ivry-sur-Seine une demande d’indemnisation pour leur enfant mineur, laquelle a été rejetée. Le tribunal a estimé que, voyageant gratuitement sur les genoux de sa mère, l’enfant ne pouvait prétendre à l’indemnisation forfaitaire prévue par le règlement (CE) n° 261/2004, car il ne disposait ni de billet d’avion ni de carte d’embarquement.

La Cour de cassation a confirmé cette décision, statuant que, selon l’article 3, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 261/2004, les passagers voyageant gratuitement sont exclus du champ d’application du règlement. Elle a précisé que la gratuité, même prévue dans une offre accessible au public, exclut le droit à l’indemnisation.

Ainsi, contrairement à un vol international soumis à la convention de Montréal de 1999 dont l’article 1 relatif au champ d’application prévoit que la présente convention s’applique à tout transport international de personnes, bagages ou marchandises, effectué par aéronef contre rémunération et également aux transports gratuits effectués par aéronef par une entreprise de transport aérien, le transport gratuit est exclu de l’indemnisation prévue par le règlement (CE) n° 261/2004, précisant les conditions de cette exclusion et confirmant une interprétation stricte des dispositions relatives aux indemnités en cas d’annulation ou de retard de vol.

Référence : Cour de cassation – première chambre civile – 6 janvier 2021 – 19-19.940

Requalification d’un Vol Avancé en Annulation par la Cour de cassation : Application Stricte du Règlement (CE) n° 261/2004

Un passager avait acheté plusieurs billets d’avion pour lui-même et des membres de sa famille. Le vol initialement prévu le 16 août 2021 à 15h35 avait été avancé à 10h30, empêchant ainsi le passager et sa famille de le prendre. De plus, les billets pour un autre vol prévu le 27 août 2021 avaient été annulés. En conséquence, le passager avait poursuivi la compagnie aérienne pour obtenir une indemnisation, se fondant sur le règlement (CE) n° 261/2004.

Le tribunal judiciaire de Nantes avait rejeté les demandes d’indemnisation du passager. Il avait estimé que le passager ne rapportait pas la preuve de l’annulation ou du retard des vols réservés. Le tribunal avait constaté que le vol initialement prévu à 15h35 avait été avancé à 10h30, mais avait conclu qu’il n’avait été ni retardé ni annulé, de sorte que les dispositions du règlement (CE) n° 261/2004 ne pouvaient s’appliquer.

Opposé à cette interprétation juridique de la notion d’annulation de vol, le passager a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, portant sur la question de savoir si un vol avancé de plus d’une heure peut être considéré comme annulé selon le règlement (CE) n° 261/2004, ouvrant droit à indemnisation.

La Cour de cassation a décidé qu’en application des articles 2 et 5 du règlement (CE) n° 261/2004, un vol avancé de plus d’une heure doit être considéré comme annulé. En requalifiant un vol avancé de plus d’une heure comme étant « annulé » au sens du règlement (CE) n° 261/2004, la Cour a ainsi reconnu le droit des passagers à une indemnisation.

En reconnaissant qu’un vol avancé de plus d’une heure doit être traité comme une annulation, la Cour de cassation renforce les droits des consommateurs et la responsabilité des compagnies aériennes pour les litiges similaires à l’avenir conformément à la jurisprudence européenne (affaires jointes C-146/20, C-188/20, C-196/20 et C-270/20). 

Référence : Cour de cassation, première chambre civile, 31 janvier 2024, n° 22-21.56

L’ajout d’une escale imprévue n’est pas une annulation de vol 

Une passagère a acheté un billet d’avion auprès de la société Air France pour un vol Mulhouse – Conakry via Paris, prévu le 19 avril 2014. L’itinéraire a été modifié par l’ajout d’une escale à Dakar, ce qui a retardé l’arrivée à Conakry à 20h31 au lieu de 15h55. 

Elle a de ce fait demandé une indemnisation au titre de l’article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 pour annulation de vol.

Ce qui lui a été accordé. Air France a formé un pourvoi en cassation contre ce jugement, soutenant que la modification d’itinéraire avec une escale imprévue ne constituait pas une annulation de vol, car le vol avait atteint sa destination finale. 

Ainsi, la condamnation pour annulation de vol violait les articles 2, sous l), 3, §2, sous a), et 7 du règlement (CE) n° 261/2004.

Cet arrêt précise l’interprétation de l’annulation de vol et confirme que l’ajout d’une escale imprévue n’est pas une annulation de vol. 

Référence : Cour de cassation, Chambre civile 1, 10 octobre 2019, n° 18-20.490.

Responsabilité du Transporteur Aérien en Cas de Retard de Vol International au Cameroun

À la suite d’un retard significatif d’un vol international au départ de Douala (Cameroun), un passager a été contraint d’annuler son voyage et a obtenu le remboursement de son billet d’avion. Considérant les désagréments subis, le passager a engagé une action en responsabilité contre le transporteur aérien pour le retard subi avant l’annulation de son vol.

La Cour d’Appel du Littoral, dans son arrêt n° 107/CIV du 17 juin 2016, a condamné Air France à verser une indemnité de 4 150 Droits de Tirage Spéciaux (DTS), soit 3 412 282,14 F CFA, en plus de 178 500 F CFA pour le remboursement des frais de déplacement et de location de véhicule. Cependant, Air France a formé un pourvoi en cassation, contestant cette décision sur trois motifs principaux.

Sur la forme, Air France a avancé que l’arrêt de la Cour d’Appel manquait de fondements suffisants, conformément à l’article 35.1 c de la Loi 2006/016 du 29 décembre 2008, régissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême. La compagnie a affirmé que la Cour d’Appel n’avait pas suffisamment démontré que le passager avait subi un réel préjudice, surtout qu’il avait annulé son vol et obtenu un remboursement. Selon Air France, ce manque de démonstration rendait la décision non conforme à l’article 7 de la loi n° 2006/015 sur l’organisation judiciaire au Cameroun, qui exige des décisions judiciaires bien motivées.

Par ailleurs, Air France a soutenu que la Cour d’Appel avait dépassé les limites de responsabilité fixées par l’article 22 de la Convention de Montréal en octroyant une indemnité ainsi qu’un remboursement des frais de déplacement et de location de véhicule. Selon la compagnie, la limite de 4 150 DTS couvre tous les dommages subis par le passager et aucune somme supplémentaire ne devrait être accordée à quelque titre que ce soit.

De plus, Air France a contesté la conversion des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) en francs CFA faite par la Cour d’Appel, affirmant que la méthode de conversion n’était pas clairement justifiée. Cela, selon la compagnie, empêchait la vérification de la légalité de cette conversion telle que disposée à l’article 23 de la Convention de Montréal.

Ainsi, la Cour Suprême était saisie de la question du régime de responsabilité du transporteur aérien en cas de retard de vol international, notamment si la Cour d’Appel avait correctement interprété et appliqué les dispositions de l’article 22 de la Convention de Montréal, ainsi que les exigences de motivation des décisions judiciaires prévues par la loi camerounaise.

Sur la base de l’article 53 (2) de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006, fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, celle-ci a rejeté le pourvoi d’Air France. La Cour Suprême a jugé que les arguments d’Air France n’étaient pas suffisamment clairs et détaillés. Les premier et troisième arguments n’identifiaient pas clairement les textes de loi spécifiques qui auraient été violés. Le deuxième argument, basé sur l’article 22 de la Convention de Montréal, reposait sur une interprétation erronée de la manière dont les limites de responsabilité devaient être appliquées. La Cour Suprême a estimé qu’Air France avait mal interprété l’article 22 de la Convention de Montréal. Cet article limite la responsabilité des transporteurs aériens en cas de retard, mais Air France a mal compris les conditions et l’application de cette limitation. La Cour d’Appel a correctement interprété l’article en considérant que la limitation ne s’appliquait pas de manière absolue et que des indemnisations supplémentaires pouvaient être justifiées en fonction des circonstances spécifiques du cas.

 L’arrêt de la Cour Suprême du Cameroun constitue une illustration significative de l’application des conventions internationales relatives au transport aérien par les juridictions africaines. Il souligne la rigueur avec laquelle ces juridictions évaluent les préjudices allégués et les indemnisations appropriées, contribuant ainsi à l’amélioration de la justice aérienne en Afrique. 

Référence Arrêt : Cour Suprême du Cameroun, Chambre Judiciaire, Section Civile, Dossier n° 078/CIV/017, Pourvoi n° 313/REP du 12 octobre 2016, Arrêt n° 74/Civ du 04 juillet 2019, Affaire : Compagnie Air France c/ Y. François

Exonération de Responsabilité des Transporteurs Aériens en Cas de Grève : Limites et Obligations Subsistantes

Deux passagers ont acheté des billets d’avion pour un vol annulé par la compagnie, invoquant un mouvement de grève des contrôleurs aériens. Les demandeurs ont alors sollicité des indemnités pour l’annulation du vol et des dommages-intérêts pour défaut de fourniture de mesures d’assistance et absence de remise de notice informative, en se basant sur le règlement (CE) n° 261/2004.

Le juge d’instance a rejeté leurs demandes et la Cour de cassation a décidé que la grève n’est pas une circonstance exceptionnelle exonérant la compagnie de son obligation d’indemnisation. Le transporteur doit prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même en prenant toutes les mesures raisonnables.

La Cour de cassation a également souligné que l’existence de circonstances extraordinaires peut exonérer le transporteur de son obligation d’indemnisation, mais ne le dispense pas de ses autres obligations, notamment celles d’assistance et de remise de notice.

Cette décision réaffirme les exigences strictes de preuve imposées aux transporteurs aériens pour s’exonérer de leur obligation d’indemnisation en cas de circonstances extraordinaires, en particulier les grèves. Elle rappelle également que, même en présence de telles circonstances, les transporteurs doivent toujours remplir leurs obligations d’assistance et d’information envers les passagers, renforçant ainsi la protection des droits des passagers aériens.

Référence : Cour de cassation – première chambre civile – 16 février 2022 – 20-14.190