Requalification d’un Vol Avancé en Annulation par la Cour de cassation : Application Stricte du Règlement (CE) n° 261/2004

Un passager avait acheté plusieurs billets d’avion pour lui-même et des membres de sa famille. Le vol initialement prévu le 16 août 2021 à 15h35 avait été avancé à 10h30, empêchant ainsi le passager et sa famille de le prendre. De plus, les billets pour un autre vol prévu le 27 août 2021 avaient été annulés. En conséquence, le passager avait poursuivi la compagnie aérienne pour obtenir une indemnisation, se fondant sur le règlement (CE) n° 261/2004.

Le tribunal judiciaire de Nantes avait rejeté les demandes d’indemnisation du passager. Il avait estimé que le passager ne rapportait pas la preuve de l’annulation ou du retard des vols réservés. Le tribunal avait constaté que le vol initialement prévu à 15h35 avait été avancé à 10h30, mais avait conclu qu’il n’avait été ni retardé ni annulé, de sorte que les dispositions du règlement (CE) n° 261/2004 ne pouvaient s’appliquer.

Opposé à cette interprétation juridique de la notion d’annulation de vol, le passager a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, portant sur la question de savoir si un vol avancé de plus d’une heure peut être considéré comme annulé selon le règlement (CE) n° 261/2004, ouvrant droit à indemnisation.

La Cour de cassation a décidé qu’en application des articles 2 et 5 du règlement (CE) n° 261/2004, un vol avancé de plus d’une heure doit être considéré comme annulé. En requalifiant un vol avancé de plus d’une heure comme étant « annulé » au sens du règlement (CE) n° 261/2004, la Cour a ainsi reconnu le droit des passagers à une indemnisation.

En reconnaissant qu’un vol avancé de plus d’une heure doit être traité comme une annulation, la Cour de cassation renforce les droits des consommateurs et la responsabilité des compagnies aériennes pour les litiges similaires à l’avenir conformément à la jurisprudence européenne (affaires jointes C-146/20, C-188/20, C-196/20 et C-270/20). 

Référence : Cour de cassation, première chambre civile, 31 janvier 2024, n° 22-21.56

L’ajout d’une escale imprévue n’est pas une annulation de vol 

Une passagère a acheté un billet d’avion auprès de la société Air France pour un vol Mulhouse – Conakry via Paris, prévu le 19 avril 2014. L’itinéraire a été modifié par l’ajout d’une escale à Dakar, ce qui a retardé l’arrivée à Conakry à 20h31 au lieu de 15h55. 

Elle a de ce fait demandé une indemnisation au titre de l’article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 pour annulation de vol.

Ce qui lui a été accordé. Air France a formé un pourvoi en cassation contre ce jugement, soutenant que la modification d’itinéraire avec une escale imprévue ne constituait pas une annulation de vol, car le vol avait atteint sa destination finale. 

Ainsi, la condamnation pour annulation de vol violait les articles 2, sous l), 3, §2, sous a), et 7 du règlement (CE) n° 261/2004.

Cet arrêt précise l’interprétation de l’annulation de vol et confirme que l’ajout d’une escale imprévue n’est pas une annulation de vol. 

Référence : Cour de cassation, Chambre civile 1, 10 octobre 2019, n° 18-20.490.

L’employeur a qualité à agir en responsabilité contre le transporteur aérien pour les retards de vol de ses employés passagers : une décision clé de la CJUE

L’employeur de personnes transportées en tant que passagers, ayant conclu un contrat de transport international avec un transporteur aérien, a qualité pour agir contre ce dernier en réparation du dommage résultant du retard des vols effectués par ses employés en application de ce contrat. Ce droit s’étend aux frais supplémentaires exposés par l’employeur. 

Le Service des enquêtes spéciales de la République de Lituanie (Lietuvos Respublikos specialiųjų tyrimų tarnyba) a été confronté à cette situation après avoir acheté des billets d’avion via une agence de voyages pour une mission professionnelle de Vilnius à Bakou, avec des escales à Riga et Moscou. Le vol reliant Riga à Moscou ayant subi un retard, l’arrivée à Bakou s’est effectuée avec plus de quatorze heures de retard par rapport à l’horaire prévu. Ce retard a obligé le Service des enquêtes à payer des indemnités journalières et des cotisations sociales supplémentaires pour un montant total de 1 168,35 litas lituaniens (environ 338 euros). Air Baltic Corporation AS, le transporteur aérien, a refusé de dédommager le Service des enquêtes pour ces frais supplémentaires, ce qui a conduit ce dernier à saisir le tribunal pour obtenir réparation.

Le Service des enquêtes spéciales a initialement saisi le Premier Tribunal de District de Vilnius (Vilniaus miesto 1-asis apylinkės teismas) pour obtenir la condamnation d’Air Baltic Corporation AS au paiement de 1 168,35 litas lituaniens (environ 338 euros) à titre de dommages et intérêts. Le tribunal a fait droit à cette demande par un jugement rendu le 30 novembre 2012. Air Baltic a fait appel de ce jugement devant le Tribunal Régional de Vilnius (Vilniaus apygardos teismas), qui a rejeté l’appel et confirmé le jugement de première instance par un arrêt du 7 novembre 2013. Air Baltic s’est ensuite pourvue en cassation devant la Cour Suprême de Lituanie (Lietuvos Aukščiausiasis Teismas), soutenant qu’une personne morale telle que le Service des enquêtes ne pouvait pas se prévaloir de la responsabilité du transporteur aérien prévue par l’article 19 de la Convention de Montréal. La Cour Suprême de Lituanie a sursis à statuer et a posé à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) deux questions préjudicielles concernant l’interprétation des articles 19, 22 et 29 de la Convention de Montréal.

La première question portait sur la responsabilité du transporteur aérien envers les tiers, notamment l’employeur d’un passager, pour les dommages résultant d’un retard de vol. La seconde question, posée dans l’hypothèse où la réponse à la première question serait négative, concernait la possibilité pour ces tiers d’agir contre le transporteur aérien sur d’autres fondements, par exemple le droit national. La CJUE a rendu sa décision le 17 février 2016, interprétant les articles de la Convention de Montréal de manière à inclure la responsabilité du transporteur aérien envers les employeurs pour les dommages subis en raison des retards de vols de leurs employés.

En conséquence, la CJUE a répondu à la première question en affirmant que le transporteur aérien est responsable des dommages résultant des retards de vols effectués par les employés en vertu d’un contrat de transport international conclu avec l’employeur. La Cour a jugé que la Convention de Montréal s’applique non seulement aux dommages subis par les passagers, mais aussi à ceux subis par une personne en sa qualité d’employeur ayant conclu un contrat de transport international. Les employeurs peuvent donc être indemnisés pour les frais supplémentaires causés par les retards de vol des employés transportés.

Conclusion : La Convention de Montréal doit être interprétée de manière à inclure la responsabilité du transporteur aérien envers les employeurs pour les dommages subis en raison des retards de vols de leurs employés, dans les limites fixées par la convention.

Décision : CJUE, 17 février 2016, n° C-429/14, Affaire Air Baltic Corporation AS c. Lietuvos Respublikos specialiųjų tyrimų tarnyba.

Responsabilité du Transporteur Aérien en Cas de Retard de Vol International au Cameroun

À la suite d’un retard significatif d’un vol international au départ de Douala (Cameroun), un passager a été contraint d’annuler son voyage et a obtenu le remboursement de son billet d’avion. Considérant les désagréments subis, le passager a engagé une action en responsabilité contre le transporteur aérien pour le retard subi avant l’annulation de son vol.

La Cour d’Appel du Littoral, dans son arrêt n° 107/CIV du 17 juin 2016, a condamné Air France à verser une indemnité de 4 150 Droits de Tirage Spéciaux (DTS), soit 3 412 282,14 F CFA, en plus de 178 500 F CFA pour le remboursement des frais de déplacement et de location de véhicule. Cependant, Air France a formé un pourvoi en cassation, contestant cette décision sur trois motifs principaux.

Sur la forme, Air France a avancé que l’arrêt de la Cour d’Appel manquait de fondements suffisants, conformément à l’article 35.1 c de la Loi 2006/016 du 29 décembre 2008, régissant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême. La compagnie a affirmé que la Cour d’Appel n’avait pas suffisamment démontré que le passager avait subi un réel préjudice, surtout qu’il avait annulé son vol et obtenu un remboursement. Selon Air France, ce manque de démonstration rendait la décision non conforme à l’article 7 de la loi n° 2006/015 sur l’organisation judiciaire au Cameroun, qui exige des décisions judiciaires bien motivées.

Par ailleurs, Air France a soutenu que la Cour d’Appel avait dépassé les limites de responsabilité fixées par l’article 22 de la Convention de Montréal en octroyant une indemnité ainsi qu’un remboursement des frais de déplacement et de location de véhicule. Selon la compagnie, la limite de 4 150 DTS couvre tous les dommages subis par le passager et aucune somme supplémentaire ne devrait être accordée à quelque titre que ce soit.

De plus, Air France a contesté la conversion des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) en francs CFA faite par la Cour d’Appel, affirmant que la méthode de conversion n’était pas clairement justifiée. Cela, selon la compagnie, empêchait la vérification de la légalité de cette conversion telle que disposée à l’article 23 de la Convention de Montréal.

Ainsi, la Cour Suprême était saisie de la question du régime de responsabilité du transporteur aérien en cas de retard de vol international, notamment si la Cour d’Appel avait correctement interprété et appliqué les dispositions de l’article 22 de la Convention de Montréal, ainsi que les exigences de motivation des décisions judiciaires prévues par la loi camerounaise.

Sur la base de l’article 53 (2) de la loi n° 2006/016 du 29 décembre 2006, fixant l’organisation et le fonctionnement de la Cour Suprême, celle-ci a rejeté le pourvoi d’Air France. La Cour Suprême a jugé que les arguments d’Air France n’étaient pas suffisamment clairs et détaillés. Les premier et troisième arguments n’identifiaient pas clairement les textes de loi spécifiques qui auraient été violés. Le deuxième argument, basé sur l’article 22 de la Convention de Montréal, reposait sur une interprétation erronée de la manière dont les limites de responsabilité devaient être appliquées. La Cour Suprême a estimé qu’Air France avait mal interprété l’article 22 de la Convention de Montréal. Cet article limite la responsabilité des transporteurs aériens en cas de retard, mais Air France a mal compris les conditions et l’application de cette limitation. La Cour d’Appel a correctement interprété l’article en considérant que la limitation ne s’appliquait pas de manière absolue et que des indemnisations supplémentaires pouvaient être justifiées en fonction des circonstances spécifiques du cas.

 L’arrêt de la Cour Suprême du Cameroun constitue une illustration significative de l’application des conventions internationales relatives au transport aérien par les juridictions africaines. Il souligne la rigueur avec laquelle ces juridictions évaluent les préjudices allégués et les indemnisations appropriées, contribuant ainsi à l’amélioration de la justice aérienne en Afrique. 

Référence Arrêt : Cour Suprême du Cameroun, Chambre Judiciaire, Section Civile, Dossier n° 078/CIV/017, Pourvoi n° 313/REP du 12 octobre 2016, Arrêt n° 74/Civ du 04 juillet 2019, Affaire : Compagnie Air France c/ Y. François

Exonération de Responsabilité des Transporteurs Aériens en Cas de Grève : Limites et Obligations Subsistantes

Deux passagers ont acheté des billets d’avion pour un vol annulé par la compagnie, invoquant un mouvement de grève des contrôleurs aériens. Les demandeurs ont alors sollicité des indemnités pour l’annulation du vol et des dommages-intérêts pour défaut de fourniture de mesures d’assistance et absence de remise de notice informative, en se basant sur le règlement (CE) n° 261/2004.

Le juge d’instance a rejeté leurs demandes et la Cour de cassation a décidé que la grève n’est pas une circonstance exceptionnelle exonérant la compagnie de son obligation d’indemnisation. Le transporteur doit prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même en prenant toutes les mesures raisonnables.

La Cour de cassation a également souligné que l’existence de circonstances extraordinaires peut exonérer le transporteur de son obligation d’indemnisation, mais ne le dispense pas de ses autres obligations, notamment celles d’assistance et de remise de notice.

Cette décision réaffirme les exigences strictes de preuve imposées aux transporteurs aériens pour s’exonérer de leur obligation d’indemnisation en cas de circonstances extraordinaires, en particulier les grèves. Elle rappelle également que, même en présence de telles circonstances, les transporteurs doivent toujours remplir leurs obligations d’assistance et d’information envers les passagers, renforçant ainsi la protection des droits des passagers aériens.

Référence : Cour de cassation – première chambre civile – 16 février 2022 – 20-14.190

Perte de Bagages dans le Transport Aérien International au Burkina Faso : Application des Clauses de Limitation de ResponsabilitéJurisprudence – Droits des passagers aériens

Mme A Ab a acheté un billet d’avion électronique auprès de la société Air France pour un vol de Ac à Ad via Paris à destination de B. À son arrivée, elle a constaté la perte de ses deux valises, chacune pesant 23 kg. Mme A Ab a demandé une indemnisation à Air France pour la perte de ses bagages, le remboursement de son billet d’avion, les frais d’hôtel, les frais de transport urbain et la valeur de ses effets personnels. Elle a saisi le Tribunal de Grande Instance (TGI) de B, qui, statuant en première instance, a condamné Air France à lui verser la somme totale de seize millions cinq cent huit mille sept cent vingt (16 508 720) francs CFA.

Air France a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel de Ouagadougou, contestant la décision du TGI de B. La compagnie aérienne a soutenu que le litige relevait de la matière commerciale et non civile, et que la décision devait être annulée en raison de la non-application de la Convention de Varsovie et de ses clauses limitatives de responsabilité. Air France a argumenté que le tribunal avait statué à tort en matière civile alors que toutes les parties étaient commerçantes. Toutefois, la Cour d’appel a confirmé que le jugement était bien de nature commerciale et qu’il s’agissait d’une simple erreur matérielle.

De plus, Air France a fait valoir que la perte de bagages devait être indemnisée selon les termes de la Convention de Varsovie, limitant la responsabilité à 17 Droits de Tirage Spéciaux (DTS) par kilogramme, sauf déclaration spéciale de valeur faite lors de l’enregistrement. Air France a également souligné que le billet électronique de Mme A Ab, bien que ne contenant pas explicitement les clauses limitatives de responsabilité, faisait référence à celles-ci via un fourreau détachable contenant toutes les conditions du transport aérien.

La Cour d’appel a partiellement infirmé le jugement rendu par le TGI de B. Elle a reconnu l’erreur matérielle mais a confirmé que le jugement avait bien une nature commerciale. Concernant la responsabilité limitée du transporteur, la Cour a appliqué la Convention de Varsovie, limitant l’indemnisation à 17 DTS par kilogramme, ce qui correspond à un montant total de 806 827 francs CFA pour les bagages perdus. Par ailleurs, la Cour a annulé les indemnisations supplémentaires accordées par le TGI, notamment le remboursement du billet d’avion, les frais d’hôtel, les frais de transport urbain et les dommages-intérêts, estimant qu’il y avait une double réparation pour le même préjudice.

Cet arrêt réaffirme que les clauses de limitation de responsabilité du transporteur aérien s’appliquent, même en l’absence de mention explicite sur le billet électronique, tant que ces clauses sont accessibles au passager. La décision établit également que les demandes indemnitaires pour perte de bagages doivent respecter les limitations prévues par les conventions internationales, en l’absence de déclaration spéciale de valeur par le passager.